Kaveh Nabatian est l’idéateur et l’un des sept réalisateurs du ciné-concert Les sept dernières paroles (2018).
Qu’est-ce que la pièce Les sept dernières paroles du Christ en croix de Franz Joseph Haydn représente pour toi?
J’aime la musique de Haydn en général. C’est de la musique classique – donc, indémodable –, mais je dois dire qu’elle vient rarement me chercher d’une manière aussi puissante que dans cette composition. Habituellement, la musique de Haydn est plus contrôlée, plus rigide, mais il y a quelque chose de plus grand dans Les sept dernières paroles du Christ en croix. Les thèmes des sonates sont imposants : la mort, l’abandon, le pardon… Ça va chercher quelque chose de plus grand chez le compositeur, et il parvient à canaliser beaucoup de choses dans cette musique. Les sonates sont assez longues et elles ont différentes couleurs. Il finit en force avec le Il Terremoto, que je trouve presque métal. C’est très différent, j’ai l’impression qu’il met tout sens dessus dessous.
Où as-tu entendu l’œuvre de Haydn pour la première fois?
Sarah McMahon, la violoncelliste du Callino Quartet, est une bonne amie à moi. J’étais en tournée avec mon band au Royaume-Uni et nous passions un peu de temps chez elle. C’est elle qui m’a fait découvrir la pièce. Le quatuor voulait en faire un enregistrement. Je l’ai écoutée à ce moment-là et je l’ai trouvée magnifique. Ça m’a donné l’envie de participer à leur projet, d’en faire quelque chose. Au début, je pensais tout faire moi-même, mais après réflexion, je me suis dit qu’il serait mieux d’avoir plusieurs réalisateurs, pour avoir un film qui est universel.
Comment as-tu fait le choix des réalisateurs, et comment s’est passée la collaboration?
Je cherchais des réalisateurs de partout dans le monde au début, mais ça s’est vite révélé être trop compliqué logistiquement. Avec Catherine Chagnon, la productrice, on s’est plutôt concentrés sur des réalisateurs québécois, avec des origines et religions différentes. Il nous fallait le plus de variété possible. C’était surtout des gens que je connaissais, ou bien que Catherine connaissait. Je voulais aussi avoir plus de femmes que d’hommes, parce que je trouvais la musique si intéressante et différente… Je voulais que ça se reflète dans le film. Pour ce qui est de la collaboration, le plus important pour moi, c’était de passer du temps ensemble. J’ai organisé des soupers, des barbecues, pour pouvoir jaser de la musique, des thèmes, des idées de chacun. J’ai aussi établi quelques contraintes : ils devaient tourner en format panoramique, sans dialogue, et je voulais qu’ils favorisent l’intuition plutôt que l’intellect dans leur interprétation de la parole qu’ils allaient réaliser. Je ne voulais pas quelque chose de cérébral : je voulais qu’ils écoutent la musique et que leurs films soient une danse entre le thème et les émotions que la musique provoquait en eux. Sinon, tous et toutes ont eu carte blanche. C’était très intéressant de voir d’autres personnes réaliser, d’autres façons de faire et de communiquer.
Tu réalises deux segments dans le film, soit « Introduzione » et la conclusion, aussi appelée « Il Terremoto », ainsi que le segment intitulé « Tout est accompli », dont le thème est le triomphe. Peux-tu me parler de tes inspirations pour ces deux segments?
« Introduzione » et « Il Terremotto » suivent la même histoire : une femme âgée fait face à la mort. Je cherchais à raconter une histoire vraiment simple et qui parlait des thèmes du film, des idées d’abandon, de confiance et de renaissance. J’ai tendance à compliquer les choses, mais je voulais vraiment essayer d’y aller simplement pour ce segment. En Occident, on ne parle pas de la mort, on cache les vieux dans des maisons de retraite, et je voulais faire un contraste à cela. Je me suis intéressé à la culture en Haïti, à la relation des Haïtiens avec la mort. Ils en sont plus proches, les gens ont des cimetières qui abritent leurs ancêtres devant leur maison. Il y a une sorte de collaboration entre la vie et la mort. J’ai voulu prendre un morceau de ce Voodoo haïtien et le raconter différemment. C’est pour ça que le Baron Samedi conduit l’avion. La musique est tellement occidentale, je l’ai mise en images, mais le contenu est très différent des images qui viennent en tête quand on entend ce genre de musique. Pour « Tout est accompli », je me suis intéressé aux contes de fées et à la mythologie, qui sont des sujets qui me passionnent. Avec cette parole en tête, j’ai créé une mythologie. J’ai puisé dans des idées de fin du monde, comme celle des éclipses ; on retrouve souvent des éclipses lorsque de grands changements s’opèrent dans l’univers. J’ai repris l’idée de l’enfant prodigue également. Et puis, pour le décor, j’avais des arbres très précis en tête, et j’ai fini par les trouver au Mississippi, à la frontière de la Louisiane – c’est là que nous avons tourné. Ça tombait vraiment bien, car la mythologie fait partie de la vie normale en Louisiane, un peu comme en Haïti.